mardi 8 novembre 2011

Les ondes de la haine


O
n croyait avoir tout vu avec l’article paru il y a quelques semaines dans la revue pseudo-scientifique intitulée Science et Avenir. Ils avaient écrit, et plus de 110 journaux, magazines, radios ou sites web avaient repris l’information, que les benzodiazépines provoquaient la maladie d’Alzheimer. Dans la liste de ce qu’ils appelaient les « benzodiazépines », on trouvait tout et n’importe quoi, d’authentiques benzodiazépines, certes, mais aussi des médicaments n’ayant rien à voir avec ces molécules, tranquillisants, somnifères, antidépresseurs, etc. Tous ayant trait, il est vrai, au système nerveux central, au « cerveau ».
On sait que la France détient un certain record de consommation de médicaments dans ce domaine. Est-ce de l’abus ou bien est-ce parce qu’il se trouve véritablement des patients perdant chaque jour de plus en plus leurs repères dans un pays qui n’en offre plus ? Nous n’entrerons pas dans cette discussion philosophique. Seulement les faits et une interprétation possible.
Car il fut intéressant de constater que ce premier article, cent fois repris, comportait une série de références bibliographiques. Or, lorsqu’on se donnait la peine de rechercher le contenu de ces articles comme le firent certains médecins intelligents, on n’y trouvait aucune preuve tangible des assertions des journalistes, ceux-là mêmes qui avaient rédigé un article mensonger et avaient fait parler un malheureux professeur Bernard Bégaud, pharmacologue bordelais, qui devant les excès provoqués par ses dires, expliquait peu de temps après d’un air gêné que « il n’y a pas de lien de causalité directe démontré ». Consternant. Et surtout dangereux pour la Santé Publique car il est clair que de nombreux malades abandonnèrent instantanément leur traitement anxiolytique et firent probablement quelques bouffées d’angoisse et peut-être même – mais qui en parlera ? – aura-t-on pu assister à des suicides en série.
Ce jour-là j’ai brutalement compris d’où venait le montage contre la Maison Servier. Voici l’hypothèse et vous allez voir qu’elle tient la route :
Monsieur Bertrand, sémillant ministre de la Santé, doit comme tous ses collègues participer à la baisse de la dette de la France, ce montant ahurissant de 1706 milliards d’euros. Or il est responsable d’un gros déficit, celui de la Sécurité Sociale, dont le cumul atteint la coquette somme de 136 milliards d’euros à fin 2010. Si l’on compte qu’il s’alourdit bon an mal an de 20 à 30 milliards, on peut affirmer qu’il dépassera 150 milliards pour la prochaine Saint Sylvestre (celle de 2011 !). On ne devrait pas être loin de 12% de la dette totale de la France. Il faut donc diminuer, rogner, aboutir à l’équilibre pour 2016, allez Xavier, au boulot comme les autres !
Que fait notre Grippeminaud ? Il sait que s’il essaye de réduire à la hussarde son déficit, il aura la France dans la rue le lendemain. « On ne doit pas toucher à la Sécu ». Il choisit un gros laboratoire, mais qui n’a pas d’actionnaire, sans quoi ce ne serait pas correct vis-à-vis du monde boursier et les retombées pourraient être graves. Ce sera Servier, candidat idéal au rôle de bouc-émissaire. Une belle société pharmaceutique privée, indépendante, qui a des produits dans divers domaines, dont le fameux système nerveux central. On va monter autour d’elle un beau scandale et on sait que ses réactions ne seront pas de prime abord vives ou brutales car ce n’est nullement le style de son Président. On va jeter dans l’arène les cadavres de milliers de malades soumis au Mediator, on en établira le nombre sur des bases fallacieuses, et le bon peuple hurlera sa haine comme au meilleur temps des jeux du cirque. De là, on pourra faire valoir que Servier n’est que la face émergée d’un iceberg qui englobe toute l’industrie pharmaceutique française, rendez-vous compte, ma bonne dame, que vos benzos allaient vous coller un Alzheimer, le bon Ministre apparaîtra à la télévision pour dire qu’il sauve le peuple de France des pilules qui tuent et il aura gagné sans une grève et avec l’accord de toute la classe politique une brutale réduction du déficit de la Sécu. C’est beaucoup plus malin que de s’en prendre aux régimes de retraites spéciaux où l’on s’arrête à 50 ans en étant certain de toucher 100, voire 110% de son dernier salaire.

Donc on croyait avoir tout vu. Mais il fallait en rajouter un peu. Ce fut le soir du 8 novembre 2011 sur Arte. Tout fut ressassé de nouveau, les mêmes images revinrent : la bonne Hélène Frachon en médecin héroïque, le Dr Jacques Servier dans le rôle de corrupteur, de manipulateur d’une classe politique trompée et de fonctionnaires naïfs et soudoyés, un laboratoire qui n’a produit aucun produit innovant et n’a jamais fait que développer de vieilles molécules en les rajeunissant grâce à un marketing « d’enfer » (seule concession, faite à bon droit cette fois-ci, à cette détestable expression à la mode). On n’a pas évoqué ce qui gênait, l’insistance du bon ministre qui avait en son temps maintenu de force le remboursement du Mediator, on n’a pas dit que deux génériques avaient reçu leur AMM, on n’a pas noté que l’étude qui avait déclenché le retrait du produit avait été lancée et payée par Servier, on n’a nullement remarqué que les patients diabétiques sont enclins pour la moitié d’entre eux à développer des valvulopathies. Rien de tout cela. Un journaliste allemand très abscons pour reprendre l’image de l’entente Angela - Sarko, des ministres et des députés se gardant bien de manier l’insulte car certaines plaintes ont été déposées contre leurs calomnies antérieures, et surtout de pauvres victimes à qui on a fait jouer, et elles étaient sincères, ce rôle épouvantable de celles qui étaient condamnées et se battaient avant de mourir. C’était pathétique et abominable. Il n’y avait véritablement pas de mots assez durs pour condamner, définitivement et sans appel, une société aussi effroyable. On avait presque envie de poser la question : « Faut-il dès lors lui accorder même le bénéfice d’un procès ? ». Peut-on imaginer qu’un juge puisse résister à ce tableau à la Goya et analyser en conscience des preuves et des faits ? Il lui faudra un courage remarquable s’il conclut un jour à l’innocence de celui qu’on a présenté ce soir comme un monstre.
Mais… le téléspectateur aura-t-il remarqué qu’aucune défense des Laboratoires Servier n’a été assurée, que personne de la société n’a été invité sur le plateau ? Parce qu’une fin de non-recevoir avait été opposée à cette juste demande. En sera-t-il de même devant la Justice ? N’y aura-t-il comme ce soir qu’un Robespierre ou un Saint-Just ? Ou bien sera-t-il un jour possible dans ce pays de retrouver la sérénité nécessaire à la découverte de la vérité, loin du tintamarre et des clameurs de haine ?

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