jeudi 8 septembre 2011

De l’acharnement à la manipulation


La presse revendique souvent sa « liberté » mais qu’en fait-elle, comment en abuse-t-elle et avec quelle incroyable impunité cherche-t-elle à façonner une opinion publique qui croit naturellement « ce qui est écrit dans les journaux » ou bien « ce qu’on a dit à la télé » ?
Nous venons d’en avoir récemment une illustration étonnante et fort inquiétante.
Pour Servier, le mois d’août fut presque tranquille, le journaliste moyen se concentrait sur les avatars de monsieur Strauss-Kahn. Mais à peine commençait-on d’évoquer son prochain retour en France qu’il fallut retrouver une nouvelle source de papiers. Plus que jamais, la crise engendrait des nécessités d’économies, y compris dans le domaine de la Santé Publique. Les Laboratoires Servier, leur président fondateur et le Mediator allaient reprendre leur place de bouc-émissaire.
Dès le 19 août 2011, dans Le Figaro, Anne Jouan reprenait sa plume acide pour faire état, d’un ton offusqué, d’une étonnante étude de l’Afssaps et de la Direction Générale de la Santé, confiée à un étudiant en peine de master. Ce fringant jeune homme y compile 2576 fiches envoyées par 236 médecins et en tire des conclusions qu’il semble estimer pertinentes. Précisons qu’on avait demandé à tous les cardiologues de France de participer à cette étude destinée à analyser « tous les patient ayant été exposés au benfluorex, pour lesquels une échocardiographie avec examen Doppler était réalisée afin de quantifier l’intensité de la fuite valvulaire ». Il constate d’après ces observations que seulement 23% des malades ont pris du Mediator dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché. Loin d’être faible, ce pourcentage est même étonnamment élevé : on peut en effet imaginer qu’un certain nombre des fiches patients envoyées par ces 236 cardios (sur environ 6000 recensés, soit moins de 4%) ont été sélectionnées pour les besoins de la cause. De plus, l’auteur note qu’elles ont souvent été incomplètement remplies. Mais foin de la rigueur scientifique, cela ne l’empêche pas de conclure, cela n’empêche pas l’Agence Française du Médicament de publier, cela n’empêche pas madame Jouan de démontrer une fois encore qu’elle est partisane.
Le 25 août 2011, un obscur journal du web, Rue 89, publiait une charge à propos d’une publicité du Mediator datant de 1980 qui montrait un patient en surpoids atteint de ce qu’à l’époque on appelait le « diabète gras » (désormais diabète de type 2). Rapidement, qu’est-ce que cette maladie ? Parmi d’autres causes, c’est le schéma classique d’un patient dont l’alimentation déséquilibrée lui a fait gagner des kilos excessif. Ses muscles qui, sous l’influence de l’insuline, utilisaient le sucre (glucose) comme source d’énergie, vont tenter de limiter son surpoids en utilisant les acides gras et vont donc résister à l’action de l’insuline, d’où le terme d’insulino-résistance fréquemment évoqué. Le glucose de ce patient n’est plus utilisé et va donc se retrouver en excès dans le sang. Pour compenser ce surplus chronique de sucre dans le sang et cette résistance, le pancréas va secréter de plus en plus d’insuline. Ce qui aura deux effets nocifs, d’une part une accumulation des graisses dont l’insuline favorise le stockage, et d’autre part l’épuisement avec le temps des cellules bêta pancréatiques en charge de cette sécrétion. Or, que faisait le Mediator ? Il n’agissait pas comme coupe-faim mais comme adjuvant contre l’insulino-résistance. Cette représentation du patient diabétique gras ne tendait donc pas du tout à induire l’idée d’un médicament anorexigène mais d’un médicament traitant le diabète et même l’hyperlipidémie (lipides dans le sang) associée chez ce diabétique en surcharge pondérale. On se demande même en lisant l’article si le journal comprend bien que le terme d’hyperlipidémie désigne bien trop de lipides dans le sang[1] et non sous la peau du ventre, tant ses arguments semblent fallacieux !
Dès le lendemain, la ronde infernale des articles sans référence au réel se poursuivait. C’était Libération, cité par le ministre Bertrand, qui affirmait, en dépit des démentis les plus formels du laboratoire, que Servier prévoyait de poursuivre les médecins ayant prescrit le Mediator comme coupe-faim, c’était Le Point qui reprenait les accusations de Rue 89, et le sempiternel ballet de la répétition de l’information – fausse et non contrôlée – par d’autres journaux, des radios et des chaînes de télévision. C’est tellement plus simple de faire du « copier-coller » qu’un vrai travail de journalisme ! C’est aussi la technique que le regretté Vladimir Volkoff, grand spécialiste de la désinformation, a défini dans Le Montage, remarquable roman à thèse démontant les méthodes soviétiques pour influencer les médias et les moutons bêlants de la politique française.
C’est encore la haine tranquille d’Anne Jouan qui sévit dans le Figaro du 5 septembre où le chapeau de son article annonce tranquillement : « Le Figaro a consulté les interrogatoires réalisés cet été par les magistrats ». Quelle merveille que la violation du secret de l’instruction annoncée avec une telle tranquillité. Cela confine au cynisme, car on l’entend penser : « de toutes façons, il ne m’arrivera rien ».
Et pour dire quoi ? Que deux personnes âgées de 79 et 81 ans, qui collaborèrent à la recherche du Mediator il y a 40 ans et plus, se souviendraient que le produit fut initialement défini comme anorexigène puis masqué sciemment et indûment pour devenir un antidiabétique ? Mais qu’ont vraiment dit ces deux anciens collaborateurs, quelles furent leurs hésitations, leurs précautions, évoquèrent-ils des essais sur l’animal ou sur l’homme, comment les questions leur furent-elles posées ? L’histoire ne le dit pas. On le saura peut-être un jour…
On sortait à peine de ce déni de justice qu’un article de Libération du 7 septembre 2011 faisait non seulement la une de ce journal mais était repris par l’ensemble des media : Servier avait récidivé dans la tromperie à l’encontre des médecins et autorités de Santé avec son nouveau médicament contre l’ostéoporose. Oyez, oyez, Servier a caché les effets secondaires du Protelos ! Immédiatement l’entreprise publiait un communiqué de presse pour réfuter formellement cette accusation. Chose curieuse, l’EMA, l’organisme chargé de l’enregistrement des médicaments au niveau européen, venait de confirmer la validation de ses décisions en faveur du maintien sur le marché des produits Servier enregistrés sous procédure européenne, soulignant que si certaines arcanes procédurières avaient dû être rappelées au laboratoire, l’essentiel était rentré dans l’ordre comme en témoignait une inspection récente. Mais à nouveau, au soir du 7 septembre, plus de 500 articles étaient « pondus » sur la question, essentiellement par le procédé du copier-coller cher à nos pisseurs de copie. Il y en eut cependant a beaucoup plus depuis, qui soutinrent tous la thèse de la tromperie, évidemment. C’est tellement plus simple de hurler avec les loups.
Et c’est notre flamboyant Ministre de la Santé qui se crut bien inspiré en déclarant le 8 septembre que « la coopération [de Servier] avec les autorités sanitaires est aussi une obligation ». Qu’est-ce à dire ? Faudrait-il donc que le laboratoire, dont la discrétion est presqu’incroyable sous le torrent de boue qu’il reçoit, s’auto-flagelle en annonçant qu’il est coupable quand les faits démontrent le contraire ? Faudrait-il que ses 20.000 salariés viennent la corde au coup faire une génuflexion devant MM. Bertrand et Bapt (ce dernier visant sans doute un poste de Premier Ministre dans le gouvernement socialiste qu’il espère) ? Faudrait-il encore que le laboratoire Servier soit fermé, comme le demandent certains, lui qui rapporte en devises plus de 2,8 milliards d’euros à la France par an et qui sauve de multiples vies grâce à des médicaments qui font saliver d’envie de multiples entreprises internationales de la pharmacie et leurs actionnaires ? Alors c’est vrai, il n’y a pas d’actionnaires chez Servier, il n’y a que le réinvestissement constant depuis des années de 25% de son chiffre d’affaires dans sa Recherche, sa plus grande et légitime fierté. Dans un monde endetté jusqu’au trognon et qui ne sait plus comment résoudre le poids de sa dette, Servier a toujours joué la carte de la prudence financière et de l’indépendance et visiblement « on » ne le lui pardonne pas. Qui est ce « on », là est la question. Cet indéfini se définira-t-il un jour ? Peut-être, mais ce n’est pas certain : les victimes du sang contaminé cherchent encore les responsables qui ne furent pas coupables. Une fois encore, rappelez-vous Les animaux malades de la peste...


[1] Le radical « -émie » issu du grec haima – le sang – se retrouve dans glycémie (glucose dans le sang), uricémie (acide urique pouvant provoquer la goutte), etc. Mais pour le savoir, il faut avoir un peu lu.

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