dimanche 26 juin 2011

De l’acharnement contre le Mediator® à la mise en examen des médicaments


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L
e flamboyant ministre Bertrand s’est retrouvé un peu gêné devant les questions de certains députés début juin. Les rodomontades et les effets de manches n’étaient plus de mise quand il lui a fallu évoquer la responsabilité de l’Etat dans l’affaire Mediator®.
Et d’en donner une nouvelle définition en deux phrases successives : « Le Parquet c’est l’Etat », puis « L’Etat c’est la société ». D’où l’on déduit que le Parquet est la société, concept intéressant mais un peu confus, peut-être. Cela augure-t-il de la façon dont se défendra le Ministre quand on lui reprochera directement d’avoir maintenu en force le remboursement du Mediator par la Sécurité Sociale ? Car en l’occurrence, il eût pu dire en plagiant un grand roi, « l’Etat c’est moi ». Qu’est-ce que l’Etat, finalement, selon monsieur Bertrand ? Il faudra un jour enquêter là-dessus.
A propos de Parquet, il est intéressant de constater que Xavier Bertrand n’a pas été suivi dans sa définition, puisque la Cour de Cassation s’est opposée au regroupement des procédures contre Les Laboratoires Servier souhaité par le Procureur Général. Elle a décidé qu’il y aurait de façon distincte : procès au printemps 2012 à Nanterre (trois citations directes), et suivi des deux informations judiciaires ouvertes à Paris.
C’est dans ce cadre juridique que des perquisitions ont été menées le 8 juin à 6 heures du matin chez le Dr Servier et au domicile de deux de ses principaux collaborateurs. L’élégance du procédé est confondante. L’histoire ne dit pas si les pandores se sont vus offrir un petit déjeuner, mais ce n’est pas impossible car le Président Servier est d’une exquise courtoisie.

Et puis ce fut le lancement de l’opération contre l’Industrie Pharmaceutique. On peut à bon droit se demander (on va voir pourquoi) si là encore tout est bien naturel et ce que cachent certaines manœuvres.
C’est tout d’abord un second rapport de l’IGAS, sur la pharmacovigilance cette fois, mais qui fait nettement le lien avec le Mediator® dont les rapports existants de pharmacovigilance étaient vierges, ou presque. C’est une attaque en règle du système de santé français, que ce soit l’administration en charge de régulation des médicaments ou les laboratoires pharmaceutiques. Mais à aucun moment on n’évoquera l’encadrement du tarif des médicaments maintenus depuis plus d’un demi-siècle à des niveaux inférieurs à nombre de nos voisins européens, avec des hausses de prix toujours en dessous de l’inflation, ce qui nous a valu de ruiner une industrie jadis prospère, inventive, capable d’enrichir notre pays. A aucun moment on n’évoquera la gabegie dans la gestion de certains centres de sécurité sociale, non. Ce n’est pas le sujet. Il s’agit de fustiger le médicament et tous ceux qui s’en occupent.

Alors on va voir une débauche de propositions qui feront la joie du Ministre Bertrand qui en reprendra un bon nombre. Certaines d’ailleurs ne sont pas mauvaises quand elles tendent à simplifier les procédures, d’autres sont dangereuses. Si le rapport de la mission parlementaire sur le Mediator donne un certain nombre de pistes, la proposition de loi du député Bernard Debré, qui brûle la politesse de son compère Even, recèle quelques surprises, comme l’extension des pouvoirs de l’Afssaps et la virtuelle disparition de la HAS (Haute Autorité de Santé).
Les propositions de Xavier Bertrand s’inspirent donc de tout cela dans un salmigondis qui dénote une probable précipitation, avec d’évidentes absurdités.
Par exemple, la faculté donnée aux patients eux-mêmes d’alerter les centres de pharmacovigilance quand ils constatent un effet secondaire. Combien d’appels téléphoniques ces malheureux centres vont-ils recevoir par jour ? Et pour rapporter quoi ? Une nausée, une migraine, un vertige ou que sais-je encore ? Comment feront-ils la différence entre le véritable effet indésirable d’une médication (surtout s’il y a eu prescription multiple) et le « bobo » sans importance et surtout sans lien avec leur traitement ? Comment relier un effet indésirable au médicament dans le cadre d’un traitement au long cours (« je prends ce produit depuis des années sans avoir jamais rien constaté de tel ») ? Combien de fonctionnaires de santé va-t-il falloir recruter, et avec quelle qualification, quand il faudra répondre à ces appels incessants et déceler le sensé de ce qui ne l’est pas ?
Que devient le médecin dans tout cela, seul capable en principe de déceler le vrai du faux ou de ce qui est lié à l’angoisse de la maladie, ou à son évolution ? Dans cette « prise en charge » du malade par lui-même, n’y a-t-il pas risque d’une dérive vers l’automédication ? Est-ce cela l’effet recherché, est-ce la diminution des actes médicaux ?
On peut à bon droit se poser la question de la perte d’influence du médecin quand on voit que désormais les patients auront accès à un portail d’information sur les médicaments : que de difficultés de suivi des ordonnances en perspective ! On voit déjà cela : « Docteur vous m’avez prescrit le produit X, mais sur Internet j’ai lu que etc. » Cette perte de confiance des malades dans leur médecin traitant, cette incitation non écrite à l’automédication, cette angoisse que l’on fait monter dans la population à propos de sa santé risque de déboucher sur un accroissement de la morbidité et même de la mortalité de nos concitoyens. Est-ce le but recherché ?
Dans le même temps, les laboratoires pharmaceutiques qui voient leur visite médicale remise en cause (certaines propositions prévoyaient même sa suppression) vont néanmoins devoir payer la formation continue des médecins par le biais d’une nouvelle taxe. Au nom de quoi ? Il y a déjà une taxe sur la visite médicale ! à quoi sert-elle ? D’autre part, leurs innovations thérapeutiques seront tellement contraintes de fournir preuves sur preuves et ratios économiques qu’on peut se demander s’il sera toujours possible de faire de la recherche en France et même si les fruits de celle-ci, faite à l’étranger, pourront se commercialiser dans notre beau pays. Et cela c’est grave : si de nouveaux médicaments ne sont pas trouvés, certaines maladies deviendront de plus en plus difficiles à traiter. Prenons le cas d’actualité de l’Escherichia Coli qui a provoqué des morts en Allemagne et en France. Les antibiotiques actuels sont pratiquement inefficaces sur elle. Il faut en trouver de nouveaux. Comment ?
Mais à nouveau, question sous-jacente : Les progrès de la médecine et de la pharmacie qui ont accru l’espérance de vie d’un trimestre par an depuis plus d’une décennie sont-ils compatibles avec une économie où les retraités deviennent de plus en plus nombreux avec en parallèle un nombre d’enfants limité ? Faut-il continuer cette politique de santé qui fait de plus en plus de centenaires ?

Demain, je souhaite à monsieur Bertrand et aux génies qui l’ont inspiré de pouvoir disposer de suffisamment de revenus pour aller se faire soigner, quand l’âge sera venu, hors de nos frontières.

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